La séquence politique que vient de connaitre notre pays est assez singulière: sans quelques clés de lecture tout cela n’apparaît que comme une bouillabaisse d’arrière-cuisine bassement politicienne.
J’ai choisi de l’aborder par l’angle de l’humour pour contribuer à y mettre un peu de distance critique. Et par expérience, je préfère désormais l’analogie satirique à l’anaphore qui déçoit.
« C’est jamais bon de laisser dormir les créances, et surtout de permettre au petit personnel de rêver. » ou la question des engagements en démocratie
Au coeur du débat qui agite la gauche, plusieurs faits:
- En 2012, l’accession au pouvoir de François Hollande (et des parlementaires dans la foulée) s’est faite sur une série d’engagements formulés à travers 60 engagements et « propagés » notamment au travers du discours « fondateur » (le pensions-nous) du Bourget.
- Cette accession au pouvoir a été possible – faut-il le rappeler – grâce au vote, et aux appels à voter pour le deuxième tour de l’élection présidentielle de quasiment tous les autres partis de gauche. Sans ce reste de la gauche, ni François Hollande, ni les parlementaires qui ont bénéficié des reports (bon gré mal gré), n’auraient accédé aux responsabilités. Ça crée des obligations…
« Mais dis donc, on n’est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs ! » ou la question de la place des militants
Très rapidement, c’est-à-dire dès le Congrès de Toulouse, de nombreux socialistes ont fait le choix d’adopter une position prudente, exigeante, et attentive au respect de ces engagements: il ne s’agissait pas alors de jouer aux « gauchistes » mais juste de faire preuve de vigilance autour de trois grands fondamentaux:
- le respect des 60 engagements.
- l’exigence d’une large union de la gauche comme manière de « fabriquer » des politiques progressistes attendues par les Français.
- la nécessité d’un Parti Socialiste actif, quand bien même des socialistes exerceraient le pouvoir: éviter le piège du « Parti fermé pour cause de gouvernement ». Nous l’avons connu dans le passé, c’est là, le pire écueil des socialistes au pouvoir: s’enfermer dans les certitudes.
Ces socialistes, minoritaires, mais mobilisés, se sont structurés au sein d’un courant d’idées, devenu courant du Parti Socialiste : « Maintenant la Gauche ». C’est dans ce courant que j’agis depuis maintenant 3 ans. Et c’est au titre de ce courant que je suis membre du Conseil National du PS, parlement de ce parti.
Au coeur de toutes ces questions, la place et le rôle des militants: trop souvent réduits à faire le SAV de mesures qu’ils ne comprennent pas toujours, souvent contradictoires avec leurs propres argumentaires portés sur les marchés, lors des campagnes pour les Présidentielles et les Législatives de 2012.
« Bougez pas ! Les mains sur la table. Je vous préviens qu’on a la puissance de feu d’un croiseur et des flingues de concours » ou la question de la camaraderie au sein d’une même famille.
D’abord le mépris, puis sont venus les intimidations, les noms d’oiseaux, puis les menaces. Réflexe légitimiste d’un parti trop souvent caporalisé.
— »Pourquoi ? », me disent souvent des amis non-adhérents du Parti Socialiste,
— »Pourquoi dans un même parti, vous battez-vous comme cela ? Comment voulez-vous que l’on vous fasse confiance ou que l’on ait envie de venir dans un parti où tout le monde se déteste ? » Voici ce que je lisais encore, il y a quelques jours sur mon propre profil Facebook. Et je le comprends.
Il faut ici expliquer ce qui se joue, et qui explique la « violence » actuelle (même si je pense que la vraie violence, ce sont les personnes fragiles qui la subissent à cause du chômage, de la crise, du retrait des services publics, etc… – trop souvent la « nôtre » est une violence de salon et de plateaux tv):
Les partis sont trop souvent et quels qu’ils soient, des outils à conquérir le pouvoir. Plus rarement des outils à répondre aux aspirations des plus fragiles. Cela ne tient pas à ce que sont les partis, mais justement à ce à quoi ils renoncent, en l’occurence la régulation par le collectif. Trop souvent les partis sont pris en otage au bénéfice du parcours de quelques uns. Cela tient selon moi à deux faits:
- le statut de l’élu
- la 5ème République: toutes les institutions ont été construites en symétrie à cela. Et les partis qui n’ont que pour projet la conquête de ces institutions, reproduisent les mêmes trajectoires.
Pour rendre possible cette conquête, il faut une taille critique : celle qui permet de faire des majorités. Dans cet objectif, tout le monde fait semblant de s’entendre sur le fond. De temps à autres, ces tiraillements se concluent par une nécessité impérative de clarification: à force de faire croire que tout le monde est d’accord, plus personne ne sait de quoi on parle. Plus exactement, chacun lit les mots comme cela l’arrange. C’est ce qui se passe dans toutes les familles politiques. Le grand spécialiste de ces processus fut … François Hollande: une énorme capacité à produire des mots dans lesquels chacun entendait ce qui l’arrangeait… jusqu’à accéder au pouvoir.
Ce qui se joue ici au sein du Parti Socialiste, c’est le changement de régime. Pas de patron, mais de régime. C’est-à-dire d’organisation du pouvoir.
L’affrontement en cours c’est :
- d’un côté les cyniques qui considèrent que la fin justifie les moyens: l’accession au pouvoir est l’objectif. Et on dit ce qu’il faut dire pour y parvenir. Quitte à faire tout autre chose une fois aux manettes. Nous sommes nombreux pourtant à constater que cette mécanique, si elle a pu faire gagner le Parti Socialiste, abîme inexorablement la machine démocratique.
- de l’autre côté les irréductibles: on ne peut réduire ni leurs engagements ni leurs aspirations. Alors on va les caractériser comme idéalistes, utopistes, irresponsables, archaïques, etc… Tadddda…. c’est nous 😉
Ces deux « camps » sont-ils irréconciliables ?
Rien n’est jamais impossible en politique… mais plus les jours passent plus le chemin à parcourir est compliqué.
« Mais il connaît pas Raoul, ce mec ! il va avoir un réveil pénible. J’ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule. Mais maintenant c’est fini, je vais le travailler en férocité, le faire marcher à coup de lattes ! À ma pogne, je veux le voir ! Et je vous promets qu’il demandera pardon, et au garde-à-vous ! » ou comment le 49.3 arriva…
Il existe un vrai désaccord politique, qui s’est cristallisé autour de la loi Macron. Alors on nous explique que ce ne sont que des postures d’irresponsables dans la perspective du Congrès (j’y reviens ensuite). Mais en réalité le cheminement est bien plus ancien. Et la montée en gamme bien progressive. Dans l’ordre: la ratification du TSCG, puis l’ANI, puis le CICE, puis le Pacte de Responsabilité, les dérapages successifs sur les chômeurs (Rebsamen), les 35h (Valls), etc… et à chaque fois la libéralisation au coeur de tout. De la confusion entre « libérer » les forces vives de la nation et « libéraliser »…
Le choix du basculement dans une démarche autoritaire est de plus en plus visible. Le désir de rupture de la part de Valls est désormais explicite. C’est même pour lui, une véritable stratégie: apparaître bien plus ferme, libérant ainsi son propre espace pour son futur parcours personnel, là où, par nature et par nécessité, Hollande fera, le moment venu, le compromis de réconciliation. Il faut d’ailleurs lire dans l’utilisation du 49.3 un geste délibéré de Hollande: en empêchant le vote de ce texte avec les voix de l’UDI et de l’UMP, il retarde encore un peu le renversement d’alliance porté par Valls.
C’est ce renversement d’alliance qu’il faut voir dans l’exigence formulée par quelques députés d’exclure les députés frondeurs. Nul besoin d’avoir Bac+18 en maths pour faire le calcul: sans les frondeurs, ceux qui resteraient dans le groupe « socialiste » ne disposent plus de majorité au Parlement. Dès lors, plus aucune loi ne peut passer… sans le concours des voix du centre-droit et de la droite. Une stratégie d’union nationale, dessinée au sein même du Parlement par Macron lui-même désignant par le geste les « conservatismes » des deux bords, prenant soin de délibérément ne pas désigner le centre dans son geste.
Quand les arguments, manquent, on en vient aux gestes d’autorité. De l’autorité à l’autoritarisme…
« Si on bricolait plus souvent, on aurait moins la tête aux bêtises. » ou comprendre ce qu’est un congrès dans le Parti Socialiste
Pour beaucoup cela apparaît comme de la tambouille, de la cuisine. Cela est très souvent le cas. Mais ça n’empêche pas de comprendre ce que cela devrait être, et ce que l’on va essayer de faire que ce soit cette fois-ci:
Il existe aujourd’hui un désaccord très important entre nombre de militants socialistes et la politique menée par ce gouvernement.
Le but d’un congrès est exactement celui-ci : décider collectivement quelle la ligne politique du Parti Socialiste.
Comment cela se passe-t-il ?
Chacun est libre de porter une contribution au débat :
- soit par le biais d’une contribution générale : on y parle des orientations politiques générales. Chacun, sous forme de groupe, y décrit l’orientation qu’il défend.
- soit par le biais d’une contribution thématique: on y parle de sujets particuliers : économie, développement durable, etc…
Elles sont toutes lisibles ici: http://congres.parti-socialiste.fr/contributions
Une fois que chacun a pu dire ce qu’il pensait, chaque militant peut signifier, en signant telle ou telle contribution, vers quelle « orientation » il tend. C’est un exercice parfaitement optionnel, pas du tout obligatoire. Il permet de dessiner des « tendances ».
Vient ensuite le temps des débats dans chacune des sections du Parti Socialiste (les regroupements par commune / canton du Parti Socialiste), puis en Assemblées Générales par Fédération (regroupements par Département).
Puis s’engage le temps de la transformation de ces contributions au débat en motion : soit une contribution devient une motion, c’est-à-dire une orientation politique présentée en tant que telle devant tout les militants. Soit plusieurs contributions cherchent à trouver leurs points communs afin de porter une motion qui réunira un plus grand nombre de suffrages. Parce que c’est là que se situe la différence entre une contribution et une motion: les motions font l’objet d’un vote.
Une contribution c’est « voilà ce que nous pensons », une motion c’est « voilà ce que nous souhaitons que le Parti Socialiste porte ».
Et l’arbitrage se fait sur la base du vote des militants.
Chaque Fédération distribue au prorata du score de chaque motion, des mandats. Les représentants de chaque motion, portent alors ces mandats lors du fameux Congrès (qui en 2015 aura lieu à Poitiers). C’est ainsi que peut alors être déterminée l’orientation générale du Parti Socialiste.
Dans le cas présent, ce Congrès peut déboucher sur :
- oui, nous soutenons la politique conduite par Manuel Valls.
- non, cette politique n’est pas menée en notre nom.
« Trois morts subites en moins d’une demi-heure, ah ça part sévère les droits de succession » ou la question de ce qui nous disent les français élection après élection
On se dit que les échéances électorales vont générer des prises de conscience…
Vient, mécaniquement, le moment du retour de balancier des électeurs. De nos électeurs et des autres. Lors des européennes, puis des municipales. Demain nous saurons pour les départementales.
À chaque fois le même cinéma:
- avant les échéances, tout le monde tente d’expliquer que la politique nationale est formidable. Après, tout le monde se plaint, pleurniche sur « ce national qui nous savonne la planche ». Il est même des Fédérations où des courriers sont dûment signés pour se plaindre … puis on recommence la même en couleur. Inlassablement, les mêmes causes produisent les mêmes effets pourtant.
- à chaque fois l’étiage est de plus bas, l’hypothèse des reports de voix de plus en plus improbable. Cette fois-ci les discussions avec certains partis de gauche n’ont même pas eu lieu. Suicide ou choix délibéré ?
Certains, pour démontrer le renversement d’alliance (basculer des alliances historiques avec les autres partis de gauche pour s’allier avec les partis du centre-droit et de la droite sur le modèle du SPD allemand qui créa la coalition avec la CDU), sont prêt à « suicider » le Parti Socialiste. Ce qui est une chose. À suicider le Socialisme. Ce qui est dramatique.
Et pendant ce temps le grand bénéficiaire : le FN.
Et de nous dire:
— »Vous, les frondeurs, faites le jeu du FN »: Petit rappel: la montée du FN est antérieure…
« Y’a deux solutions : ou on se dérange ou on méprise… Oui, évidemment, n’importe comment, une tournée d’inspection ne peut jamais nuire, bien sûr ! » ou la question de ces socialistes qui ne veulent pas renoncer à leur parti
Et il ne se passe pas un jour sans que soit posée la question:
— « Mais qu’est-ce que vous faites encore dans ce Parti ?« .
Inlassablement, on répète que Manuel Valls et sa ligne libérale, ont brillé par un 5,36% lors des primaires citoyennes. Même s’il est vrai que par nature et par histoire, les militants socialistes sont souvent du côté du manche. Plutôt légitimistes. Paradoxal pour un parti politique qui prône l’émancipation des forces dominantes. Alors il nous faut patienter jusqu’au moment de l’arbitrage militant.
De plus, il est une loi arithmétique en démocratie. Nous pensons que sans le Parti Socialiste – pas n’importe lequel s’entend – la gauche ne sera plus jamais majoritaire dans ce pays. Et il faut donc que quelques-uns mènent le combat pour s’assurer que ce Parti demeure ancré à gauche. Peut-être est-ce impossible. Mais combattre pour ses idées c’est bien la vocation d’un militant politique. Si celui-ci se contente d’aller dans les endroits où tout le monde pense comme lui, il perd sa dimension de résistance, pour se retrouver dans un entre-soi bien plus réconfortant. Mais pas forcément plus productif pour les idées défendues.
Après il convient de fixer des limites: pour ma part, je ne vois aucun débouché à défendre des idées socialistes dans un parti qui revendiquerait ne plus rien défendre du socialisme, au point de vouloir en abandonner le terme…
C’est pourquoi je me suis résolument engagé, en tant que militant socialiste, membre de Maintenant la Gauche, dans une démarche unitaire, portée collectivement au sein de Vive la Gauche, pour proposer une orientation différente à celle portée par Valls, Macron et consorts. Quand bien même, eux n’ont pas le courage de porter explicitement ni une contribution, ni une motion. Tout au mieux le font-ils de manière masquée avec comme porte-voix Jean-Christophe Cambadélis.
« Seulement, de nos jours, il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied. L’esprit fantassin n’existe plus, c’est un tort. » ou comment, malgré tout les militants continuent de militer.
Et pourtant nous continuons… à faire les campagnes, à tracter, à afficher.
Parce que, pour parler des départementales, le bilan d’un département comme celui de la Gironde, n’a rien à voir avec la politique nationale. Ce Département en est même la victime : par les politiques austéritaires de ce gouvernement, par la remise en cause des compétences en plein milieu de la campagne… Les politiques portées dans nos départements valent infiniment mieux que la colère annoncée des Français.
Ceci est parfaitement synthétisé dans la Tribune de Jérôme Guedj dans l’Humanité du 25 février : Il ne faut pas se tromper de colère!
Il est hallucinant de constater que les grands chefs à plume, défenseurs devant l’éternel de la politique gouvernementale se font plutôt rare dans ce travail militant… Mais finalement, nous continuons le « combat à pied ». Et sur les marchés, nous mangions jusqu’à il y a peu les noms d’oiseaux de nos concitoyens. Maintenant c’est plutôt l’ignorance et le dédain…
Mais on ne perd jamais rien à défendre ses idées.
C’est même tout le contraire…
Sources des citations : « Les Tontons Flingueurs » – dialogues : Audiard – 1963
