2015 est là. Départementales. Puis Régionales. Et le désarroi du peuple. Et des citoyens toujours plus éloignés des personnes et des partis qui devaient les représenter. Et réciproquement.
On ne peut se résoudre, ni à des prophéties auto-réalisatrices, ni à des impasses suicidaires.
Une gauche aphone:
Ce dont il s’agit c’est d’être – enfin – capables de placer l’intérêt collectif bien au-dessus des postures individuelles, boutiquières et rancunières:
– oui, le Parti Socialiste maltraite les idéaux de la Gauche et – plus grave – l’espoir considérable levé un jour de mai 2012, par son soutien tacite (hélas parfois explicite) à une politique gouvernementale le plus souvent aux antipodes des engagements pris;
– non, tout ce que fait ce gouvernement n’est pas à jeter: il existe parfois des sursauts dignes d’une politique républicaine et sociale à laquelle nous aspirions. Hélas dans l’immense majorité, les non-réformes, des regressions sociales en réalité, étouffent ce que ce gouvernement pourrait porter de vertueux.
– oui, un nombre important de socialistes considère que cette politique n’est pas menée en leur nom et espère pouvoir le démontrer lors du Congrès de ce Parti Socialiste de juin 2015.
– non, tout cela ne peut justifier une attitude sectaire laissant à penser que tous les socialistes, plus exactement tous ceux qui demeurent adhérents du Parti Socialiste sont des « socio-traîtres », des collaborateurs de cette politique droitière. Cette dialectique ne permet que d’exacerber une stratégie de terre brûlée qui n’a que pour vocation de siphonner un groupe pour en former un autre. Cela ne fait pas un projet politique. Certains camarades du Parti de Gauche doivent être capables de sortir du délire freudien qui veut qu’il faudrait tuer le père pour construire une nouvelle gauche. Il donne au PS une importance bien trop grande. Nos formes d’organisation pour l’exercice du pouvoir sont révolues et cette manière de faire tout autant. Il serait même ironique que le destin du PG se détermine par la seule question de l’attitude des socialistes. L’offre politique du PG mérite mieux que cela.
Une impasse démocratique :
Pour autant tous ces constats sont inaudibles. Ils ne constituent pas une perspective pour des citoyens désormais sans rêve collectif partagé. Au mieux une tambouille de politicards. Une de plus.
Que sont devenus les citoyens que l’on a progressivement rabougris dans des rôles de clients d’une offre politique clientéliste, qui disait à chacun ce qu’il avait envie d’entendre, s’articulant de plus en plus sur les attentes de chaque groupe d’individus (les jeunes, les homos, les femmes, les diplômés), plutôt que d’inventer un destin collectif, donc partageable et mobilisant. Le rapport « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » du think-tank Terra Nova aura montré ce glissement: ce dont il s’agit c’est de constituer un socle permettant d’accéder au pouvoir – quitte à ne pouvoir tenir ses engagements.
Ainsi, si changer le réel suppose l’accès et l’exercice du pouvoir (et des responsabilités qui y sont attachées), cette première partie du quinquennat démontre que plus l’écart entre ce qu’on a dit qu’on ferait et ce que l’on fait de manière effective est important, plus le décrochage des citoyens, leur rejet de la chose publique, voire leur renvoi aux extrêmes est fondamental.
La question n’est donc pas de savoir si ce qui est fait est justifiable au regard de la situation constatée: au mieux cela dénote d’une méconnaissance coupable de la situation réelle, au pire d’une incapacité à exercer le pouvoir.
Si on regarde les choses en face deux discours nous sont proposés:
- le peuple n’est pas suffisamment éclairé pour savoir ce qui est bon pour lui. Il faut donc accéder au pouvoir par le peuple puis l’exercer malgré le peuple. Cette approche rappelle les pires époques et détruit l’esprit démocratique d’un peuple. Il revendique le principe d’un despotisme éclairé, et explique alors que les gens « n’ont pas compris ». Ce n’est alors qu’un problème de communication – comprendre de service après-vente-. Et les militants d’un parti politique de gouvernement ne doivent se consacrer qu’à cet exercice de SAV. Tout exercice d’analyse critique – le propre pourtant de l’éducation populaire en politique – est considéré comme de la haute-trahison.
- le peuple, en tant que tel n’aurait plus de destin collectif. Il s’agirait alors de produire des politiques catégorielles, quitte à les opposer les unes aux autres, et de jouer de ses rapports de forces internes à la société … pour se maintenir au pouvoir. On parlera alors de « déverrouiller » la France, en agissant sur le consentement de chaque groupe par l’offrande dédiée qui lui serait servie. Les citoyens n’existent plus en tant que tels. Les catégories, les groupes, les communautés, s’exacerbent. Et ne tiennent que dès lors qu’elles voient une autre catégorie plus affaiblie qu’elle. Les salariés ne peuvent plus se plaindre, en-dessous d’eux, il y a les intérimaires, les auto-entrepreneurs, puis les chômeurs… ad lib. Le modèle républicain explose. Et ceux qui militent pour ne pas renoncer à ce modèle, pour ne pas plier face à cet avènement des thèses libérales portées aux pinacles par des forces se revendiquant pourtant de la gauche, sont considérés comme rétrogrades, conservateurs et archaïques.
Une refondation basée sur les citoyens:
Nous ne pourrons pas faire plus longtemps l’impasse sur les citoyens.
Parce qu’il exacerbe les tensions entre les communautés, le modèle de juxtaposition des communautés sur un territoire ne peut constituer un horizon ni un projet de société.
Parce qu’il crétinise les citoyens (cf le travail de Salmon et Stiegler sur ce sujet), le modèle « si tu dis cela sur un marché, personne ne va rien comprendre » est voué à détruire la démocratie. Collectivement, nous avons eu le tort, ou pas le courage, c’est selon… de ne pas faire perdurer les comités citoyens nés de 2004 et 2005 autour du Traité Constitutionnel Européen. Il y eut pourtant de grands moments, de la véritable éducation populaire. Même si cela pose une difficulté réelle: on parvient à mobiliser les citoyens sur des causes: TCE, TAFTA, 6eme République, etc… mais le liant de l’exercice démocratique de la citoyenneté se perd. On saute d’une cause à l’autre. Voici un vrai travail de fond qu’il reviendrait à une nouvelle typologie de « formation politique » de faire. Formation… dans les deux sens du terme! Et c’est pourtant bien l’enjeu d’une formation politique progressiste que d’oeuvrer à l’émancipation des peuples ! Après avoir oeuvré à l’instrumentalisation puis la destruction minutieuse de tous les outils d’éducation populaire depuis les années 80 à nos jours, il n’est même pas dit que nous parvenions à réinventer un modèle qui suscite de l’attention.
Et cela ne se fera pas sans l’implication des citoyens. Ce n’est pas un casting qui doit leur être proposé mais un horizon. Sans un projet qui place les citoyens en acteurs et non en simples clients, ce sera le rejet tragique!
Agir ici et maintenant
Je l’écrivais dès octobre 2014, dans un billet intitulé Élections départementales 2015: l’Union de la Gauche n’est pas un idéal, c’est une impérieuse nécessité ! : le rassemblement dès le premier tour est une nécessité. Il ne pourra se limiter à une « jointure douloureuse » entre partis qui se détestent. Ces partis qui ont encore tout fait pour rendre infaisable une réelle dynamique de rassemblement. Et pourtant ce rassemblement est possible, souhaitable et nécessaire.
Ces partis qui font semblant de croire soit qu’une victoire est possible (pour le PS), soit qu’une défaite du PS le détruira enfin, permettant alors de s’y substituer (FdG). Les Verts en variable d’ajustement. Et ceux qui disent le contraire comme autant de boucs émissaires de la déconvenue pourtant prévisible. De la déroute qui s’entrevoie. Du discours déjà fabriqué au lendemain des municipales: « le contexte national a pesé pour beaucoup dans la balance »…
Doit-on se résoudre à donner sur un plateau ces départements, dernier bastion de la solidarité et de la protection sociale des plus fragiles ?
Alors oui, nous devons appeler à un sursaut:
- il faut que nous soyons collectivement capable de dire – avant et non après – que nous n’approuvons pas ce « contexte national ». En moins policé, que nous ne sommes pas en accord avec la politique menée par ce gouvernement, et que cette politique n’est pas à la hauteur des aspirations du peuple de gauche que nous prétendons représenter. Et que nous devrons résister collectivement pour un changement de cap politique. Et notamment notre rejet des politiques d’austérité qui frappent si durement nos collectivités, assèchent nos territoires ruraux et détruisent le lien social.
- il faut que nous parvenions, sur la base de ce préalable, à reconsidérer, là où c’est possible et souhaité, à opérer le rassemblement de toutes les forces politiques ET citoyennes.
- il faut que nous nous engagions à une nouvelle forme d’exercice d’un mandat politique qui implique différemment les citoyens. Pas seulement en tant que destinataires de comptes-rendus. Mais aussi, et surtout à l’endroit de la fabrication de la décision et de l’action politique. Y compris par l’exercice de ces mandats !
Alors oui, on m’objectera que cela va coûter des « places » à des militants pourtant désignés. C’est exact. Et oui, il aurait pu en être autrement. Et oui on ne transforme pas des pratiques politiques simplement. En même temps, ce n’est pas un hasard s’il existe tant de cantons où il est difficile de trouver des candidats et des suppléants… Suffisamment rare pour se dire qu’il se passe quelque chose non ? Au moins sur ces territoires en manque de candidatures, imaginons les choses autrement… comme autant de « laboratoires de nouvelles formes d’exercice d’un pouvoir progressiste ».
À ceux qui me serviront le discours « tu affaiblis nos candidatures », je leur demande de regarder en face leur propre responsabilité dans la bataille qui s’annonce. Et que le changement des pratiques politiques ne peut pas se limiter à un argument marketing éternel qui ne se traduit jamais dans les faits ni dans les prises de positions.
Je le dis donc avec force: tout ce qui pourra être fait pour,
- replacer les citoyens au coeur du dispositif politique (et pas seulement avec des adhésions à 20€).
- redonner de la force au rassemblement de la Gauche.
- éviter de livrer clés en main les collectivités aux forces conservatrices, réactionnaires
- empêcher l’entrée des partis xénophobes dans nos collectivités,
Tout cela, j’y prendrai toute ma place. Et j’espère que beaucoup de socialistes, dont je sais la sincérité, prendront part à ce qui devrait être pourtant une évidence.
C’est pourquoi je salue le travail amorcé par Jérôme Guedj dans l’Essone pour rendre possible le rassemblement de toute la gauche. Et je ne désespère pas qu’il y parvienne – y compris avec le PG.
C’est pour cela que je soutiens en Gironde, l’Appel pour une majorité citoyenne en Gironde:
- évidemment je ne l’aurais pas écrit ainsi, mais j’en partage l’essentiel,
- évidemment je ne suis pas dupe des arrières-pensées, mais le sursaut, cela passe aussi par la capacité à se dépasser les uns les autres, au-delà de nos petites boutiques,
- évidemment je trouve le lieu de la réunion prévue maladroit, à moins qu’il ne témoigne d’un désir de trouver, sur ce territoire et son canton, de nouvelles solutions de rassemblement plutôt que de divisions à gauche.
Et ce que ce texte apporte en terme de désir et de capacité à retisser des liens, des ponts, j’y souscris réellement. Et cela dépasse pour moi les points négatifs, polémiques et opportunistes de ce texte.
Parce qu’il faut bien démarrer par quelque part.
Appel pour une Majorité Citoyenne en Gironde
22 DÉCEMBRE 2014
Nous, citoyennes et citoyens de Gironde, ne nous résignons pas à voir notre pays s’enfoncer dans la catastrophe sans réagir.
Nous le constatons tous les jours, la politique menée par le gouvernement est un échec, un désastre économique et social. Le chômage augmente mois après mois, nos salaires stagnent ou diminuent quand la vie est toujours plus chère, nos conditions de vie régressent, notre pouvoir d’achat est systématiquement en baisse, nous avons du mal à nous loger correctement, à nous soigner, à envoyer nos enfants à l’école.
Nous refusons de payer pour une crise que nous n’avons pas créée, à la place de ceux qui en sont responsables. Nous refusons la logique de cette politique qui supprime peu à peu nos postes, nos hôpitaux, nos maternités, nos écoles, nos trains, nos tribunaux.
Nous refusons cette politique qui se fait sans les citoyens, contre les citoyens, sème du désespoir, du repli sur soi, de la violence et favorise l’extrême-droite. Une politique qui est incapable d’aider réellement les plus démunis d’entre-nous, de fournir des emplois pérennes à nos jeunes, de soutenir nos aînés en difficulté, de répondre à l’impératif écologique que plus personne ne peut ignorer aujourd’hui.
Nous voulons en finir avec la 5ème République qui fait le bonheur d’un petit nombre de privilégiés, au détriment de l’intérêt de l’ensemble de la population.
Nous refusons la réforme territoriale du gouvernement qui nous éloignera davantage des lieux où se prennent les décisions qui régissent nos vies, et vise à court terme la disparition de la commune et du département.
Notre pays contient tant d’énergies gâchées. Il faut redonner du sens à l’initiative citoyenne.
Des élections départementales sont prévues en 2015, c’est l’occasion de planter une graine d’espoir si nous nous rassemblons autour d’objectifs communs :
Donner la priorité aux droits humains, à la sauvegarde de la planète sur laquelle nous vivons tous et permettre que nous, citoyennes et citoyens, exercions enfin notre souveraineté dans une collectivité départementale toujours plus génératrice de solidarités, et pour le renforcement institutionnel de laquelle nous nous battrons.
Ensemble, nous pouvons résister aux coupes budgétaires et au massacre de nos services publics, parce que notre santé, l’éducation de nos enfants ou la culture ne sont pas à vendre ;
Ensemble, nous pouvons engager la transition énergétique par le développement des énergies renouvelables, la rénovation de l’habitat, le soutien à l’agriculture de proximité ;
Ensemble, nous pouvons développer l’emploi durable et l’activité économique de façon équilibrée sur tout le territoire, en donnant la priorité aux quartiers et aux zones rurales ;
Ensemble, nous pouvons garantir l’accès aux transports publics partout, notamment en nous opposant à la fermeture de lignes ferroviaires, et soutenir les alternatives au « tout voiture » et au « tout camion » ;
Ensemble nous pouvons refuser les grands projets inutiles que l’on tente de nous imposer, comme la LGV Bordeaux-Toulouse et les désastres écologiques et autres gaspillages financiers qu’elle entraine.
Nous ne proposons pas de faire confiance à un programme ficelé à l’avance mais de nous engager ensemble dans un projet citoyen : organisons des consultations populaires chaque fois que nécessaire, sortons les discussions des couloirs du Conseil Général et pour commencer constituons des assemblées publiques où nous élaborerons un projet départemental et choisirons les candidat-e-s aptes à le porter dans chaque canton.
Citoyennes, citoyens, engagé-e-s ou pas dans des syndicats, des associations, des mouvements et des partis politiques, construisons ensemble cette démarche en nous retrouvant pour une première assemblée citoyenne départementale, Mardi 13 janvier à 20 heures, salle Daguin à Villenave d’Ornon.
Lire également cet article sur Slate: Elections départementales: le PS rayé de la carte dans certains territoires?
Rapport de Terra Nova (synthèse et rapport):
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